Un jour quelconque de janvier 1990. La date n'est pas officielle, mais les médecins pencheraient pour un jour entre le 22 et le 26. Un petit garçon vu le jour dans une voiture. Enfin, une sorte de camionnette délabrée et tellement sale que lire la plaque d’immatriculation relevait du défi. Trois jours que ses parents parcouraient les routes en quête d'une agglomération où trouver un hôpital. Malheureusement, le nourrisson été arrivé trop tôt, et sa mère n'avait eu d'autre choix que d'accoucher sur le bas coté, sur le vieux matelas qu'ils avaient acheté d'occasion et qui les suivaient depuis deux ans maintenant. Depuis leur mariage précipité dans une chapelle miteuse. Et c'est quelques jours plus tard qu'ils se présentèrent à l’hôpital de Berlin, leur jeune enfant dans les bras. Ils avaient perdu toute notion du temps. Les rares médecins qui daignaient leur adresser un regard les observaient avec un mépris non dissimulé. Et lorsque, enfin, une jeune infirmière pris le temps de s’occuper d’eux, ils ne purent la renseigner sur la date exact de la venue au monde de leur premier enfant. C’est pourquoi la jeune femme inscrivit la date du 25 janvier sur son acte de naissance. « Un mois après noël », leur dit-elle en souriant. Puis, une fois le bébé examiné et déclaré bien portant, ils reprirent la route, dans leur vieille camionnette, jusqu’au domicile de la famille de Dalila, leur seul abris contre la rue, étant donné que la famille de Mark résidait aux Etats Unis. Ils y vécurent sept ans, tant bien que mal, mais toujours dans l’amour.

Ce fut après ces sept années que Brandon se rendit réellement compte de la chance qu’il avait eu de vivre dans une famille, certes dans le besoin, mais toujours aimante et compréhensive. Lorsque sa famille, pendant qu’il était à l’école, périt dans un incendie comme il y en avait tant en cette période estivale à Berlin. Sûrement un abruti qui s’était endormi avec une cigarette allumée dans la main. Lorsqu’il fut arraché à sa terre natale et envoyé en Amérique, à Seattle, chez la sœur de son père, sa tante, où Margaret, comme il se devait de l’appeler. Les premiers mois furent difficiles en termes d’adaptation. Par difficile, j’entends plus compliqué à gérer que les années qui suivirent. Car oui, passer d’une famille pratiquant la tolérance, et où il n’avait aucun interdit, à une famille puritaine où chaque parole était déplacée n’avait pas été chose aisée pour le jeune allemand. Il se fit difficilement aux mœurs de cette famille pratiquante et presque fanatique, à la présence des trois adolescents sournois qui lui servaient de cousins, et à ces nouveaux parents qui semblaient l’accepter par contrainte, et surtout pour leur réputation de "bons chrétiens ayant accueilli un pauvre gosse égaré qu’il faut remettre sur le droit chemin" au sein des membres de l’église qu’ils fréquentaient. Bien qu’en conflit permanent avec sa famille, si on peut la nommer de cette façon, les premières années se déroulèrent, à défaut de bien, plutôt tranquillement. Car, avouons le, fréquenter un collège privé, même religieux, et avoir toujours une assiette remplie devant soi lorsqu’on à faim n’est pas désagréable.

Tout sa gâta lorsque Brandon commença à fréquenter des personnes de mauvaises réputations. Ses notes chutèrent brusquement, lui qui n’avais jamais eu de difficultés à travailler. Il rentrait tard, parfois il ne rentrait même pas, il lui arrivait de venir aux repas familiaux juste après avoir fumé de la drogue, bref, il dérivait complètement. Ce fut alors qu’il rencontra une fille. Vraiment belle, avec de longs cheveux dorés qui lui arrivaient au milieu du dos, et de magnifiques yeux verts avec des reflets noisette. Ce fut la première fois que Brandon eut un coup de foudre. Comme la plupart des garçons de son lycée, il suivait la belle à la trace, bavant presque derrière elle. Bien qu’elle semblait elle aussi lui porter de l’attention, elle ne faisait rien. Elle attendait qu’il se décide enfin à faire le premier pas. Et en jeune homme sur de lui, il le fit. Ils sortirent ensemble pendant un an. Une année où Brandon se rattrapa, essaya d’être un type bien, comme il faut, pour changer. C’était pendant sa dernière année de lycée. Il eut la chance de pouvoir intégrer Columbia. Il se dit souvent que, sans elle, il n’y serait jamais arrivé. Mais, malheureusement, elle eut un grave accident de voiture qui la paralysa. Honteuse de sa faiblesse, elle ne voulait plus voir Brandon, elle refusait qu’il pose les yeux sur son corps meurtris. Alors, elle s’enfuit, lui laissant une bouteille de vin vide. Celle qu’ils avaient partagé la première fois qu’il l’avait invité chez lui. Depuis, il garde cette bouteille en signe de son passé, de toutes les choses qu’il a manquées. Il n’a plus jamais eu d’histoires d’amour sérieuses depuis ce jour, peut-être, sûrement, par peur de souffrir. Depuis trois ans qu’il est à Columbia, il a toujours une pensée pour son premier amour, tous les matins quand il se lève, parce qu’il sait que sans elle, il serait en train de pourrir en prison. C’est pour cela qu’il travaille un minimum. Il ne veut pas gâcher la seule chose qu’il lui reste d’elle, sa confiance en lui.